Le rapport de Brodeck 1. L'autre
<N&B>Claudel, Philippe
04/2015 (Parution le 10/04/2015)
Dargaud
978-2-205-07385-0
154
J uste le temps de publier le charmant Microcosme et Manu Larcenet replonge dans les tréfonds de l'âme humaine avec Le rapport de Brodeck, adaptation du roman éponyme de Philippe Claudel. Cette fable tragique se déroulant dans un village reculé de la campagne allemande au sortir de la Deuxième Guerre mondiale ne fait pas dans la gaieté de vivre. Brodeck, un vague fonctionnaire, a été chargé par les habitants du hameau de rédiger un compte rendu de la disparition – comprendre l'exécution – de « der Anderer », un étranger venu s'installer dans ce coin perdu du pays. Plus contraint que volontaire, Brodeck s'attelle à la tâche comme il le peut, alternant souvenirs personnels (déporté, il a passé deux ans dans un camp de concentration) et un semblant d'enquête que les auteurs de cet assassinat veulent le moins incriminant possible.
À la fois très proche et très éloigné de Blast, Le rapport de Brodeck mêle les genres. Dans l'écrin virginal de la nature, un homme se débat pour survivre, affrontant les autres (ceux d'aujourd'hui et ceux d'hier) et ses propres démons. Déshumanisation, pression du groupe sur l'individu, stress post-traumatique et affres de la culpabilité, le scénariste dresse un sombre état des lieux. Si le ton général est moins incarné – adaptation oblige - que celui qui imprégnait son œuvre précédente, Larcenet réussit néanmoins à imposer sa marque. Celle-ci, plus grave que celle de Christophe Chabouté dans La Bête et nettement moins amusante que celle de Baru et Pierre Pelot dans Pauvres Zhéros, se révèle magistrale, car implacable. Rares seront les lecteurs à ne pas être ébranlés une fois l'album refermé.
Si l'admirable et épanouie approche en noir et blanc peut rappeler certains grands noms comme Dino Battaglia, elle est avant tout personnelle. Le dessinateur démontre qu'il a atteint un niveau d'excellence impressionnant, aussi bien sur le plan graphique que dans la mécanique du récit. L'enchaînement des différentes scènes se montre d'une fluidité naturelle. Sans tomber dans le piège de l'esthétisme, le trait sonne immanquablement juste. Qu'il décrive l'indicible ou un simple hibou surpris par un rayon de soleil matinal, l'émotion passe, tout simplement.
En maître de la narration, Larcenet entraîne le lecteur sur la piste d'un lointain cousin de Polza Mancini. La randonnée est ardue, mais exceptionnelle.
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